
Blade Runner 2049 : nos questions à l’Oscarisé Paul Lambert, superviseur des effets spéciaux
Récompensé par l’Oscar des meilleurs effets spéciaux avec ses collègues du studio Double Negative (DNEG) pour Blade Runner 2049, Paul Lambert a eu la gentillesse de répondre à quelques-unes de nos questions autour du film. Voici ses réponses !
Par Audrey Oeillet le
Bonjour Paul ! Maintenant que la carrière de Blade Runner 2049 est faite, aussi bien en salles qu’en DVD et Blu-ray (le film est disponible depuis le 14 février), quel regard portez-vous sur le travail effectué sur le film ?
Paul Lambert : J'ai vu le film un certain nombre de fois, au cinéma et sur un écran de télévision. Je suis fier de ce que mon équipe de DNEG et moi-même avons réalisé pour ce film. La première fois que je l'ai vu, c’était à Los Angeles, à l’occasion d’une projection laser. Ça m’avait laissé sans voix. Je le revois encore aujourd’hui avec les mêmes émotions.

Ce qui est intéressant lorsqu’on commence à découvrir les coulisses d’un film, notamment à travers les making of, c’est que l’on voit des effets spéciaux que l’on n’avait pas vu lors du premier visionnage. Blade Runner 2049 regorge d’effets visuels tellement réalistes qu’on a le sentiment qu’ils n’en sont pas. C’est ça, le plus gros défi quand on fait des effets spéciaux ?
Pour moi, le but de tout effet visuel est d’être totalement crédible. Certains films réussissent mieux que d'autres. Il aurait pu être très facile d'exagérer certains effets, mais nous en étions très conscients. Nous avons déployé des efforts supplémentaires pour rendre les visuels crédibles - en veillant à aligner exactement l'appareil photo et l'éclairage de Roger (Deakins, directeur de la photographie, NDLR), en basant notre travail sur des prises de vue réelles, en évitant de prendre des décisions comme changer totalement le ciel juste parce que c’était techniquement possible... nous voulions créer un moment vraiment immersif, et pour cela, nous avions le défi de créer aucun effet visuel qui allait en éjecter le spectateur par manque de crédibilité.
On retrouve dans Blade Runner 2049 l'atmosphère urbaine très particulière de Blade Runner, ce côté futuriste très poussé mais aussi très poisseux. La représentation de la ville a été limitée par les technologies des années 80 pour le film précédent. Avec les possibilités techniques d'aujourd'hui, était-il difficile de ne pas en faire trop pour explorer davantage l'univers?
Absolument. Il aurait pu être très facile d’en faire trop. La ville du film a beau être constituée de structures impressionnantes, ce qui compte plus que tout, c’est son atmosphère, le sentiment général de malheur et d'oppression. Même si nous avons construit une ville à un niveau très détaillé, vous ne la voyez jamais vraiment, à moins de la survoler de très près. Denis ne voulait pas que l’on voit d'embouteillages dans le ciel, par exemple. A l’époque à laquelle se déroule le film, la Terre est un endroit désolé d’où tous les gens en mesure de partir sont partis. Les publicités et les hologrammes sont restés derrière, vous avez donc ce monde qui a autrefois diverti des millions de personnes, mais qui est resté vide, presque sans vie. Nous avons construit un monde où vous ne choisiriez pas de vivre.
L'un des principes derrière Blade Runner 2049 était que la révolution numérique ne s'est jamais produite. Tout est resté analogique - analogiquement avancé. Cela a empêché nos idées de devenir trop futuristes et trop techniques, car nous avions besoin de les fonder sur quelque chose de notre passé.

A quel comment vous commencez à travailler sur les effets spéciaux d’un film comme Blade Runner 2049 ? Avec le scénario en main, le storyboard ?
Pour ce film, on a commencé à travailler sur les effets spéciaux des mois avant la photographie principale. Un certain nombre de tests ont été effectués pour le look de Joi, l’hologramme, notamment. En fin de compte, rien de ce travail préliminaire n’a été gardé car c’était trop lourd en matière d’effets visuels : nous n’avons pas eu la vision définitive de ce qu’allait être Joi avant la dernière semaine du tournage, à Budapest.
Nous avons aussi fait beaucoup de peintures et de rendus de ce à quoi Los Angeles devait ressembler, d'un point de vue architectural et atmosphérique. L’une de ces toiles était fixée au mur du bureau du réalisateur Denis Villeneuve durant tout le tournage. Au cours des premiers tests, le script était encore en train d'être peaufiné, mais comme on connaissait déjà certaines scènes et certaines idées, nous pouvions constamment fournir des visuels pour aider à l'avancement créatif du film. Pour les scènes les plus importantes, on a mis les bouchées doubles pour que les chefs de départements aient une idée concrète de comment les réaliser. Mais en fin de compte, une grosse partie du travail de prévisualisation n’a pas vraiment contribué à fixer précisément les cadrages, souvent définitivement fixés le jour du tournage.
Une chose dont je me souviendrai toujours, c'est que parfois, je me rendais tôt au studio pour réfléchir aux travaux à venir. À plusieurs reprises, la seule personne qui était là avant moi était Roger Deakins. Il était dans sa bulle, en train de travailler sur les plans à venir et chercher les meilleurs angles photographiques. Dans ces moments-là, il ne fallait pas le déranger, tout le monde le savait. Mais être témoin de ce processus créatif, c’était vraiment quelque chose.

En parlant de Joi, l’une des scènes qui me fascine le plus est celle où elle "fusionne" avec Mariette. C'est le genre de scène que l'on voit rarement dans un film. Comment avez-vous conçu cette scène?
Cette scène est vraiment très spéciale. Sur le tournage, c’était l’une de ces rares occasions où le travail était en flux tendu. Il n’y a jamais eu de discussion de type « Et si on essayait ça ? Et si on tentait ça ? » John Nelson et moi avions beaucoup parlé à Denis Villeneuve de cette séquence. Il y avait un peu d'appréhension quant à la façon dont nous allions faire cela car Denis et Roger travaillent de manière très organique. Nous n'avons pas répété la scène, donc tout a été tenté pendant la semaine de shooting au début du tournage. Il a été décidé de tourner la scène en laissant les effets spéciaux de côté. Il n'y avait pas de contrôle de mouvement, pas de capture de mouvements, pas d'écran bleu ou vert.
De fait, chaque actrice a dû copier la performance de l’autre du mieux qu’elle pouvait, en tournant toujours avec Ryan Goslin. Nous savions que cela allait être une scène intime et pour que ce soit efficace, on devait y ressentir toute la palette d’émotions jouée par les acteurs. Nous avons donc laissé de côté tout ce qui était susceptible de les distraire, comme les trackers de mouvements, par exemple. Nos équipes ont donc eu du travail supplémentaire, pour extraire les actrices de l’environnement, effectuer le suivi en 3D à la main… mais je crois vraiment que tourner de cette façon était la clé de l'intimité de la scène, en laissant une totale liberté aux acteurs. Il ne fallait pas qu’ils agissent à l’écart les uns les autres, il fallait qu’ils soient ensemble.
Nous avons reconstruit des versions complètes des actrices pour que nous puissions modifier subtilement les performances de Joi quand Denis voulait un moment de « synchronisation », tout en conservant la photographie comme couche supérieure. Tout ce travail de fourmis donne un rendu vraiment unique.
J'ai lu que l'un des vrais défis des effets visuels du film avait été la pluie. C'est surprenant. Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet ?
Habituellement, la pluie est quelque chose qui apparaît dans notre vision périphérique. Sur un plateau de tournage, la plupart du temps, vous ajoutez des barres de pluie au-dessus de vos acteurs et vous ne vous inquiétez pas de la pluie au loin. Le public ne devrait pas regarder là. Nous avons donc commencé à ajouter de la pluie à tous nos plans en images de synthèse de Los Angeles d'une manière traditionnelle. Nous avons donc créé un calque de premier plan, de milieu et de fond mais, rapidement, on s’est rendu compte qu'il manquait quelque chose. Le monde en 2049 était devenu un endroit sombre et morne. Vous ne choisiriez pas d'y vivre à moins d'y être obligé. Il y a de la pluie ou de la neige constante et toujours une brume qui limite votre champ de vision. Combiné avec l'architecture agressive, c'est un monde oppressif. Les perspectives ne sont plus jolies mais plutôt émotionnelles. Il y a une lourdeur, un poids à tout. Nous avons trouvé que nous devions être plus précis avec la pluie et l'atmosphère, car ça constitue une énorme partie de ce que l’on voit en tant que spectateur.
D'un point de vue technique, nous avons dû suivre la trace de la pluie dans tous les plans. Chaque lumière émettrice affecte la pluie environnante, et tout cela a donc dû être calculé au cas par cas. Comme le monde désolé conservait toutes ses publicités et ses hologrammes, la pluie a dû être calculée en tenant compte de ces sources lumineuses. Il y avait des moments où les calculs prenaient deux jours à aboutir. Ça a été un travail très difficile, douloureux même, mais aussi très enrichissant. Même si le fait de voir la pluie s'éclairer de cette façon est beau en soi, cela a complètement ajouté au réalisme et au poids de l'environnement.

Avec le recul que vous et votre équipe avez maintenant sur le film, aimeriez-vous changer quelque chose si vous le pouviez?
C'est toujours fascinant de revoir un film après avoir travaillé des mois durant sur ses effets spéciaux. Vous avez tendance à perdre de vue la qualité des choses.
Quand vous travaillez dessus, il y a toujours de petites choses que vous voudriez continuer à peaufiner. Parfois, ça tourne même à l’obsession. En fin de compte, vous finissez par lâcher prise, car il y a des délais à respecter. C'est seulement quand vous voyez le travail avec du recul que vous vous rendez compte que vous avez lâché prise pile au bon moment. Donc non, je ne changerais rien.

Pour finir, bien sûr, félicitation pour votre Oscar ! Comment voudriez-vous que nous nous souvenions de Blade Runner 2049, et surtout de votre travail, dans 30 ans?
Je suis très fier du travail accompli par tous les artistes de DNEG. Nous avons suivi les traces du Blade Runner original, mais en créant quelque chose de nouveau. J’espère que le niveau de crédibilité de nos effets visuels inspirera d’autres artistes, qui suivront le même chemin à l’avenir.
Merci Paul !